Tout est affaire de décor

Un article de Nezumi.

Tout est affaire de décor , exposition monographique de Pierre Ardouvin, réalisée en 2016 au Musée d'art contemporain du Val-de-Marne

Propos

Pour « Tout est affaire de décor », Pierre Ardouvin propose une vision globale de son œuvre en une scénographie minutieusement orchestrée qui met en lumière une sélection d’une trentaine d’œuvres, assemblées et rejouées pour le MAC VAL. Les œuvres se composent de nouvelles productions et des pièces réactivées, qui datent de 1996 à 2015. Le contraste et la complémentarité sont évidents entre les 1350 m² de la salle d’expositions temporaires du musée, plongée dans l'obscurité et le vestibule et le jardin inondés de lumière.

Le titre de l'exposition fait appel à Louis Aragon, mis en musique par Léo Ferré. « Tout est affaire de décor/Changer de lit changer de corps/À quoi bon puisque c’est encore/Moi qui moi-même me trahis/Moi qui me traîne et m’éparpille/Et mon ombre se déshabille/Dans les bras semblables des filles/Où j’ai cru trouver un pays. […] Est-ce ainsi que les hommes vivent. »

Le visiteur, littéralement plongé à l’intérieur de l’univers sensoriel et singulier de Pierre Ardouvin, est invité à arpenter et à recomposer. Les pièces sont autonomes, mais elles dialoguent entre elles pour dessiner un véritable paysage mental. Grâce aux réappropriations d’images et d’objets familiers revisités par son imaginaire, l’artiste offre ici un récit personnel et collectif en investissant les espaces communs, comme par exemple les clichés de la culture populaire de la France des années 60 et 70.

Avec une apparente légèreté, Pierre Ardouvin aborde les thèmes de la perte, du passage du temps, de l’arrachement, de la solitude. Avec distance et humour, il donne à voir la société du spectacle mise à nue et interroge la présence de l'homme au monde en propulsant le visiteur dans un espace en suspens, entre l’innocence de l’enfant rempli d’illusions et la réalité de l’adulte désenchanté. Sous un air de fête, l’ambiance est presque inquiétante, sans jamais être totalement angoissante et l’artiste semble dire que quelque chose va advenir, que quelque chose doit advenir.

Déclarations

Alexia Fabre, Conservatrice en chef:
Je suis extrêmement heureuse de ce projet qui ressemble tant à Pierre et permet de mesurer l’ampleur de son œuvre, comme de lui faire rencontrer un public qui ne peut qu’être touché par cette confiance absolue en son regard, par ce que les œuvres évoquent d’intime, convoquent de souvenirs, de gaieté mais aussi de gravité.
En effet, le travail de Pierre Ardouvin procède par évocations. Il ne démontre pas, n’affirme rien, mais au contraire se livre tel un puzzle ou une énigme dont les éléments font sens une fois rassemblés. C’est un appel constant à l’imaginaire, à l’appropriation et à l’interprétation de ces indices de sens, de ces bribes de récit.
Dans ce grand paysage nocturne que Pierre compose au MAC VAL, les œuvres de toutes périodes, hors toute chronologie, coexistent pour dessiner ce qui constitue l’essence même de son travail : une attention incessante et inépuisable au monde, traduite par l’assemblage d’extracts de ce même monde, collage de matériaux, d’ambiances, de couleurs et de sentiments.
La dualité et l’ambivalence sont au cœur de son œuvre : des matières pauvres ou brutes associées aux plus précieuses – une préciosité cheap en vérité –, des images artificielles et d’autres plus réalistes, des motifs populaires et de plus nobles ; l’humour et l’inquiétude, la musique et le silence. Car ce paysage de pénombre et de lumière sera plongé dans le silence. Seule la musique née de la dissonance de ce qui compose chaque œuvre pourra s’entendre, pour qui sait écouter.
L’artiste place pourtant au cœur du débat artistique la question toute relative du beau, de sa définition et de ses normes, et affronte ainsi la question de la reconnaissance de l’art des « petites gens », de ce qui compte dans leur vie, leurs loisirs, leurs fantasmes, leur univers chèrement gagné. Les objets parlent de ceux qu’ils font rêver, ils racontent ceux qui les ont agencés, installés, collectionnés : faux feu de cheminée, boules de Noël, bonhomme de neige, figure de manège, velours et ors d’une salle de spectacle renversée… Le monde comme théâtre du monde.
La violence n’est cependant pas absente de cette exposition et, feignant la légèreté, Pierre Ardouvin interroge ce qui constituerait la culture la plus high, dominante, et une culture plus low, nous renvoyant à nos certitudes acquises, mais aussi à nos refoulés, à nos oublis, à nos rejets, peut-être à nos regrets, tel un Salon des « refusés ».

Frank Lamy, chargé des expositions temporaires:
Les œuvres réunies, associées et combinées dans une ample sarabande, construisent un paysage nocturne et scintillant, peuplé de présences, habité de moments.
Un plateau sur lequel les œuvres deviennent les éléments d’un décor pour une dramatique à jouer par le visiteur/spectateur/regardeur. Une scène. Un plateau dont nous sommes les héros. Les œuvres comme des événements structurant l’espace, en attente d’activation. Ont quelque chose à voir avec la dynamique de la machinerie théâtrale baroque. Le dispositif est, toujours déjà, à vue. Pas de magie, pas d’illusion. Bien au contraire : un collage, pour être efficace, doit laisser apparaître la colle.
L’hétérogénéité des différents éléments qui composent les œuvres (objets, matières, titres, univers de références…) ne s’annihile pas, ne se résume pas dans la construction d’un nouvel élément englobant, mais conserve à l’inverse leurs qualités propres, intrinsèques, tout en produisant des déflagrations de sens nouveaux.
Des assemblages-collages, calembours pop rock aux relents surréalistes, qui convoquent un univers de référence ancré historiquement et géographiquement. Un miroir générationnel, certainement, mais pas que. Ardouvin a recours à un vocabulaire formel populaire, commun.

Galerie

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