Joseph Beuys
Un article de Nezumi.
Joseph Heinrich Beuys, né à Krefeld sur la rive gauche du Rhin inférieur le 12 mai 1921 et décédé le 23 janvier 1986 à Düsseldorf, est un artiste allemand qui a produit un nombre de dessins, de sculptures, de performances, fluxus, happening de vidéos, d’installations et de théories, dans un ensemble artistique très engagé politiquement.
À partir de 1964, Beuys inclut dans ses installations des matériaux organiques qui lui tiennent à cœur depuis son accident d’avion : le feutre qui isole du froid, la graisse symbole de chaleur et d’énergie, le miel, mais aussi la cire d’abeille, la terre, le beurre, les animaux morts, le sang, les os, le soufre, le bois, la poussière, les rognures d’ongle, les poils. Ces derniers matériaux montrent la réutilisation par Beuys des déchets, non pas pour les magnifier, mais pour les mettre au service de l’art et explorer leur matérialité.
Joseph Beuys s’explique sur l’emploi de trois de ses matériaux de prédilection dans ses objets et lors de ses actions, à savoir la graisse, le cuivre et le feutre : «Oui. J’ai utilisé davantage de matériaux au début et ils étaient plus conventionnels. Mais après la crise, j’ai commencé une nouvelle théorie et j’ai essayé de trouver les matériaux adéquats pour exprimer mes préoccupations avec de nouvelles énergies, avec les problèmes d’énergie en général et ma compréhension de la théorie de la sculpture. J’ai réalisé que nul ne connaissait le réel caractère de ce dont il parlait chaque jour, la sculpture, et que nul ne connaissait la constellation des énergies mises en jeu par la sculpture. Aussi j’ai essayé de pourfendre cette idée conventionnelle : la sculpture ; ce n’était pas pour moi uniquement le fait de travailler dans un matériau spécial mais la nécessité de créer d’autres concepts de pouvoirs de pensée, de pouvoirs de volonté, de pouvoirs de sensibilité. La graisse fut par exemple pour moi une grande découverte car c’était le matériau qui pouvait apparaître comme très chaotique et indéterminé. Je pouvais l’influencer avec la chaleur ou le froid et je pouvais le transformer par les moyens non traditionnels de la sculpture telle que la température. Je pouvais transformer ainsi le caractère de cette graisse d’une condition chaotique et flottante en une condition de forme très dure. Ainsi la graisse se déplaçait-elle d’une condition très chaotique en un mouvement pour se terminer dans un contexte géométrique. J’avais ainsi trois champs de puissance et, là, était une idée de la sculpture. C’était la puissance dans une condition chaotique, dans une condition de mouvement et dans une condition de forme. Et ces trois éléments, forme, mouvement et chaos étaient de l’énergie non déterminée d’où j’ai tiré ma théorie complète de la sculpture, de la psychologie de l’humanité comme pouvoir de volonté, pouvoir de pensée et pouvoir de sensibilité ; et j’ai trouvé que c’était là le schéma adéquat pour comprendre tous les problèmes de la société. Il y avait aussi, impliqué organiquement le problème du corps social, de l’humanité individuelle, de la sculpture et de l’art en lui-même. J’avais besoin de moyens d’expression. J’avais déjà la graisse. J’avais besoin par ailleurs d’un élément très rapide, porteur d’électricité, ce fut le cuivre. Et puis j’avais besoin d’autre chose pour isoler tel secteur de tel autre et j’utilisai alors le feutre. Ainsi, on pourrait dire que c’était le premier concept sur le plan de l’énergie… mais c’est aussi une sorte d’anthropologie !» .
L’originalité de Beuys tient à ce que, non content de construire son œuvre sur le récit de sa vie (démarche inédite à l’époque[réf. nécessaire]), il retourne les termes du problème et s’efforce de mener son œuvre comme un projet existentiel.
L’artiste s'invente un personnage (reconnaissable à son chapeau et son gilet) qui investit tous les domaines : professorat à l’académie des Beaux-Arts de Düsseldorf, création du Deutsche Studenten Partei en 1966, puis d’une Université libre internationale (manifeste de 1972) ; activités politiques et sociales diverses comportant une dimension ironique et ambiguë.
C’est en partie à cause de cette ironie sous-jacente que Beuys a été décrié par certains de ses contemporains : il lui fut reproché, entre autres, la dimension mystique de son œuvre, la récupération de l’histoire (la tragédie de la Seconde Guerre mondiale est un thème récurrent de ses travaux), mais surtout une certaine propension au culte de la personnalité.
Beuys crée le concept de sculpture sociale devant permettre d'arriver à une société plus juste ; il pense que tout homme est artiste, et que si chacun utilise sa créativité, tous seront libres.
Les travaux de Beuys ont donc de nombreuses clefs d'entrée ; ils participent à la fois de ce qu'on appelle une œuvre d'art totale (Gesamtkunstwerk) et de formes artistiques basées sur la sensation et sur le sensationnel.
Joseph Beuys et le dalaï-lama à Bonn en 1982
En 1978, l'artiste néerlandaise Louwrien Wijers interviewa Joseph Beuys sur l'avenir de l'art, de la religion et de l'économie, qui lui suggéra de poser les mêmes questions à Andy Warhol, lequel lui suggéra à son tour d'interroger le dalaï-lama. Louwrien Wijers se rendit à Dharamsala en Inde du nord, et trouva des points communs dans les visions de Beuys, d'Andy Warhol et du dalaï-lama qui déclara comprendre Beuys et que son œuvre concerne l'impermanence. Joseph Beuys proposa que la documenta de Cassel invite le dalaï-lama pour donner au Tibet un statut d’exemplarité planétaire d’une nouvelle entité basée sur un esprit de paix, l’égalité, la fraternité et une solidarité économique, ainsi qu'une véritable démocratie. La rencontre s'est produite en octobre 1982 à Bonn et 60 artistes y participèrent dont Robert Filliou. En 1990, après la mort de Joseph Beuys et de Robert Filliou, un colloque ayant pour thème la rencontre de l'art, de la science et de la spiritualité dans une économie changeante s'est tenu au Stedelijk Museum à Amsterdam, auquel participa notamment le dalaï-lama.
Analyse de quelques œuvres
Wie man dem toten Hasen die Bilder erklärt
L’action intitulée : Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort est présentée à la galerie Schmela, à Düsseldorf, le 26 novembre 1965. Cette performance, d’une durée de trois heures, inaugure la première exposition de Beuys dans la galerie du marchand Alfred Schmela. L’artiste tient sur son sein un lièvre mort, comme il le ferait d’un enfant. Il se déplace dans la galerie vers les tableaux pour les montrer au lièvre mort, s’en approchant jusqu’à les toucher. Sa tête est recouverte de miel et de poudre d’or ; exceptionnellement il ne porte pas le chapeau de feutre qui le caractérise tant. À plusieurs moments, il s’assied sur un tabouret juché sur une armoire métallique, en murmurant au lièvre des choses incompréhensibles pour le public. Au pied droit de Beuys est attachée une longue semelle d’acier contre laquelle est déposée une semelle de feutre de même dimension. L’un des pieds du tabouret est serti dans un rouleau de feutre et l’on distingue sous ce même tabouret deux os. Dans ces os, de même que dans la semelle d’acier, sont cachés des micros grâce auxquels sont retransmis les propos murmurés de l’artiste expliquant le sens de l’art au lièvre mort. Les pas de Beuys se déplaçant avec l’animal dans la galerie sont également audibles au-dehors ; en effet, le public n’a pas accès directement à la scène. Il peut cependant l’observer à travers une porte vitrée, une fenêtre et des images vidéo retransmises en direct à l’extérieur de la galerie sur un téléviseur.
Cette action affirme une nouvelle fois, un concept « élargi » de la notion d’art ; l’homme en est le maillon principal, et son lien aux tableaux comme à une source de l’inconscient se révèle alors aussi important que les tableaux en eux-mêmes.
Coyote : I like America and America likes Me
Joseph Beuys débute cette action alors qu’une exposition est annoncée à New York, en mai 1974, dans la galerie René Block. Une ambulance se présente au domicile de l’artiste à Düsseldorf, en Allemagne. Il est alors pris en charge sur une civière, emmitouflé dans une couverture de feutre. Il va alors accomplir un voyage en avion à destination des États-Unis, toujours isolé dans son étoffe. À son arrivée à l’aéroport Kennedy de New York, une autre ambulance l’attend. Surmontée d'un gyrophare et escortée par les autorités américaines, elle le transporte jusqu’au lieu d’exposition. De cette façon, Beuys ne foulera jamais le sol américain à part celui de la galerie : il avait en effet refusé de poser le pied aux Etats-Unis tant que durerait la guerre du Viet-Nam. Il coexiste ensuite pendant trois jours avec un coyote sauvage, récemment capturé dans le désert du Texas, qui attend derrière un grillage. Avec lui, Beuys joue de sa canne, de son triangle et de sa lampe torche. Il porte son habituel chapeau de feutre et se recouvre d’étoffes, elles aussi en feutre, que le coyote s’amuse à déchirer. Chaque jour, des exemplaires du Wall Street Journal, sur lesquels le coyote urine, sont livrés dans la cage. Filmés et observés par les visiteurs derrière un grillage, l’homme et l’animal partageront ensemble le feutre, la paille et le territoire de la galerie avant que l’artiste ne reparte comme il était venu.
Pour certains, Beuys, à travers cette action, souligne le fossé existant entre la nature et les villes modernes ; par le biais de l’animal, il évoque aussi les Amérindiens décimés dont il commémore le massacre lors de la conquête du pays. Le coyote cristallise ainsi les haines, et est considéré comme un messager. Pour d’autres, Beuys engage ici une action chamanique. Il représente l’esprit de l’homme blanc et le coyote celui de l’Indien. Le coyote est un animal intelligent, vénéré jadis par les Indiens d’Amérique et qui fut persécuté, exterminé par les Blancs. Ainsi, Beuys essaie de réconcilier l’esprit des Blancs et l’esprit des Indiens d’Amérique. Il parle même de réconciliation karmique du continent nord-américain.
La canne est pour lui le symbole de l’Eurasie unie en un continent solidaire.
7000 chênes
Dans 7000 chênes, pour la Documenta 7, à Kassel en 1982, Beuys commence la plantation de 7000 chênes, action qui se poursuit sur plusieurs années, sur toute la planète, même après la mort de l'artiste en 1986. Chaque chêne est associé à une colonne de basalte. Les 7000 colonnes de basalte sont disposées en tas au début de l'action dans un parc de Kassel.
Les acheteurs paient cinq cents Deutsch Mark pour planter un arbre au pied duquel est disposée la colonne de basalte, et reçoivent un reçu. Ainsi les gens peuvent suivre le déroulement de l'action, en fonction du tas de colonnes de basalte. Il y a aussi une interaction entre le minéral à dimension fixe du basalte, et l'arbre qui se développe : au début l'arbre est plus petit, ensuite celui-ci devient plus grand que la pierre. L'intention de Beuys dans cette action est de " donner l'alarme contre toutes les forces qui détruisent la nature et la vie " .
" Mon intention, c'est que la plantation des chênes n'est pas seulement une action de la nécessité de la biosphère, c'est-à-dire dans un contexte purement matériel et écologique, mais que ces plantations nous conduisent à un concept écologique beaucoup plus vaste - et cela sera de plus en plus vrai au cours des années, parce que nous ne voulons jamais arrêter l'action de plantation. La plantation de 7000 chênes est seulement un début symbolique et pour ce début symbolique, j'ai aussi besoin de cette pierre témoin, d'où cette colonne de basalte. Cette action doit donc montrer la transformation de toute la vie, de toute la société, de tout l'espace écologique " .
Expositions (sélection)
- 1969 : exposition historique Quand les attitudes deviennent forme (When attitudes become form : live in your head ; Wenn Attituden Form werden), Kunsthalle de Berne, organisée par Herald Szeemann. Exposition reconstituée en 2013 à la Fondation Prada, Venise.
- Documenta 1964, 1972, 1977, 1982, 1987
- Biennale de Venise 1975
- Biennale de Paris 1971
- MASS MoCA
Galerie
Hauptstorm, 1967
Coyote : I like America and America likes Me, 1974 |
7000 chênes, 1982
Fettecke (saindoux), reconstitution 2013 |