Ex-libris (La Pierre de Rosette)

Un article de Nezumi.

Ex-libris, (La Pierre de Rosette), œuvre de Joseph Kosuth, réalisée en 1991.

Image:Kosuthrosette.jpg

Sculpture au sol, granit : 11m20 sur 8m60 environ.

La Pierre de Rosette est un fragment de stèle originaire d’Egypte, sur laquelle est gravée trois versions d’un même texte dans deux langues (l’égyptien ancien et le grec ancien) et trois système d’écriture : les hiéroglyphes, le démotique, et le grec. Elle fut la pièce clef dans le déchiffrement des hiéroglyphes par Jean-François Champollion en 1822. Elle est conservée au British muséum depuis 1802.

Ex-Libris est une des œuvres réalisées dans le cadre du bicentenaire de la naissance de Jean-François Champollion. Située sur une place appelée « Place des écritures », elle a été réalisée en 1991 pour la ville de Figeac (Lot), lieu de naissance de Champollion.

Il s’agit d’une dalle de 11m20 sur 8m60 environ, elle est en granit noir et gravée d’inscriptions sur chacun de ses trois niveaux. Autour, il a été aménagé trois espaces, à l’image de la pierre : la cour où se trouve la dalle, entourée de bâtisses de style moyenâgeuses, des jardins en terrasse d’où on peut voir les toits de la villes, avec une végétation typique des bords du Nil et enfin une petite cour étroite où la traduction de la pierre est inscrite sur une vitre, donnant sur une salle dont le mur du fond est peint et représente une carte d’Egypte.

Cette dalle c’est en fait la copie exacte de la Pierre de Rosette, mais agrandie considérablement, 100 fois plus grande que l‘original.

Pierre Kosuth déclare :
En 1988, j'ai réalisé une exposition au Muhka d'Anvers où il était question de mon utilisation de la traduction. Le catalogue comprenait de nombreux textes d'auteurs qui ont affaire au langage et aux problèmes de la traduction. Parfois, mon activité peut paraître spécialisée, et pour le public, parfois ésotérique.
L'espace public de l'œuvre de Figeac est très important pour moi. On dépense de l'argent public pour soutenir des activités très spécialisées, les sciences par exemple, il n'y a donc pas lieu de se sentir coupable quand il s'agit d'art. Et cela devient tout à fait approprié lorsqu'il s'agit d'une intrusion dans l'espace social, en l'occurrence l'espace public de la ville de Figeac. L'œuvre doit se situer à un niveau où l'événement public prend en compte l'aptitude et la capacité du public lui-même à partager son contexte.
Cet "art public" comporte des demandes précises, tantôt ajoutées à la problématique spécifique liée au travail de l'artiste, tantôt coupées de celle-ci. Bien sûr, j'applique ma problématique à ce contexte particulier, construit à partir de tous les éléments que j'ai mentionnés.
Le cas de Champollion était intéressant car il est une figure que l'on peut réduire à une personnalité célébrée et banale, comme celle de Thomas Edison dans mon pays. Plusieurs aspects de ses travaux présentent un grand intérêt pour l'art ou, disons, pour la production intellectuelle en général. Son travail de traduction comporte des implications philosophiques; cela me donne la possibilité de rattacher les deux sphères que sont le public et le privé à ma propre problématique. J'ai conçu cet important projet du point de vue du public et "j'ai fait d'une pierre deux coups".

La réalisation est très simple: cette nouvelle Place des écritures est en pente et, en faisant de la Pierre de Rosette une série de trois marches, je l'ai rendue praticable au public en la transformant en un objet fonctionnel sur lequel on peut marcher, alors qu'auparavant elle n'avait qu'une fonction iconique. Le passage des gens sur le lieu de naissance de l'archéologue constitue un passage équivalent au travail de décodage de Champollion lorsqu'il est passé du grec classique au démotique, pour aboutir enfin aux hiéroglyphes.
C'est une autre approche de la Pierre. De plus, l'agrandissement considérablement (100 fois environ), je l'ai rendue moins précieuse, car en marchant dessus on commence à penser contre le langage, qu'il est alors difficile d'ignorer. La Pierre devient alors "un champ de langage".
Utiliser cette sorte de Ready-made qu'est la Pierre de Rosette, c'est aussi montrer que les mots que nous utilisons aujourd'hui ne sont pas de notre invention. L'usage que nous en faisons donne naissance à un dialogue qui prend place dans nos vies, et en ce sens, il est un ajout historique qui concerne aussi bien notre histoire vécue que l'histoire. Nous travaillons toujours avec des fragments hérités. La place qu'occupe Champollion dans l'histoire des pratiques est très symptomatique, si l'on peut dire, des fragments qui sont tout ce qu'il nous reste, aujourd'hui que le sens est en crise. A partir de cette accumulation de fragments de sens, on ne peut qu'essayer de construire. Aussi l'idée d'un travail original est à reconsidérer. La responsabilité politique de l'artiste est d'assurer la survie de l'art comme "philosophie devenue concrète.

Déclaration de François Barré, délégué aux Arts Plastiques:
"Toutes les métaphores de la ville comme écriture du livre de pierre, toutes les analyses de l'architecture comme correspondance entre texte et contexte convergent dans le triple cheminement de la ville, de Champollion et de Kosuth.
La pierre de Rosette qui est ici page et place évoque d'abord une ville (Rosette), un texte (un décret de Ptolémée V Epiphane) et sa relation immédiate à la langue et à l'écriture, puisqu'il fut rédigé en deux langues et transcrit en trois écritures. Cette complexité de l'écriture, à la fois picturalité et énonciation, rejoint les recherches de Joseph Kosuth.

La Pierre de Rosette devient Place et ses trois écritures les niveaux différenciés du sol. La place du texte et le texte de la place se confondent sans que leur sens soit fermé et explicité. Ce qui est ici donné à voir, et qui participe d'une urbanité réelle me semble exemplaire. L'art de Kosuth est inclusif et doit élargir son champ. Les artistes conceptuels sont peut-être ceux-là qui annoncent le mieux une réflexion et une action sur la ville. A Figeac, le scribe rejoint le copiste et la fabrique de ville. Marche et démarche nous font parcourir le texte, qui devient lieu-dit, vivre la ville comme une diachronie et rejoindre à travers Champollion des relations étranges et pourtant évidentes."

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