Biennale de Lyon 2015

Un article de Nezumi.

(Différences entre les versions)

Version du 31 décembre 2015 à 22:33

La Biennale de Lyon 2015 est la 13e édition de la Biennale d'art contemporain de Lyon.

Le thème retenu par le commissaire Ralph Rugoff est La Vie moderne.

  • Commissaire : Ralph Rugoff
  • Directeur artistique : Thierry Raspail
  • Dates : du 10 septembre 2015 au 3 janvier 2016.

Le propos

Présentation du commissaire Ralph Rugoff (extraits):

Le besoin d’annoncer une coupure nette avec le passé et d’instaurer une rupture avec la tradition, tel est le geste moderniste par excellence. Se pourrait-il alors que notre désir récurrent d’annoncer la fin de l’ère moderne ne soit en fait qu’un des symptômes de cette modernité qu’il aspire à enterrer ? On pourrait pourtant imaginer un scénario alternatif, dans lequel les différentes trajectoires du projet moderne infléchissent et modèlent encore et toujours nos perceptions, tout comme les questions non résolues de notre époque. Intitulée La vie moderne, la 13e édition de la Biennale de Lyon ambitionne d’explorer cette possibilité. Son titre rappelle assurément des moments de l’Histoire plus anciens, et probablement plus optimistes. Mais plutôt que son ironie potentielle, c’est son ambiguïté qui m’a poussé vers ce titre. Dans l’usage courant, «moderne» qualifie quelque chose de récent ou de nouveau ; pourtant, cette expression porte en elle une longue histoire, qui va de La Vie Moderne (2008), récent documentaire sur la France rurale du réalisateur Raymond Depardon, jusqu’à la publication par Charles Baudelaire de son essai « Le peintre de la vie moderne » dans Le Figaro en 1863. Cette expression incarne aujourd’hui une forme plaisante d’incertitude temporelle : elle peut servir à désigner le moment présent tout en évoquant le souvenir d’un autre âge.

J’espère que ce titre n’évoquera pas seulement la teneur ou le «thème» de l’exposition, mais qu’il posera une question – pas tant sur le « moderne », quelle que soit la diversité des définitions de ce terme, que sur la nature de notre époque et des différents dialogues qu’elle entretient avec le passé. En réunissant des oeuvres qui reflètent et interrogent le caractère contradictoire de la vie contemporaine dans différentes régions du monde, La vie moderne s’attache également à montrer en quoi la culture contemporaine est aussi le résultat et la réponse aux événements et traditions du passé. Même lorsque les artistes de l’exposition explorent des situations et des images d’aujourd’hui, ils creusent aussi dans le passé. Leur œuvre montre de toute évidence une vraie sensibilité aux liens entre un certain nombre de moments historiques et le présent, et nous place souvent face aux relations inattendues qui peuvent en surgir.

La relation que nous entretenons avec la temporalité fait partie du concept même d’une biennale. Après tout, une biennale est un genre d’exposition qui se définit par sa structure temporelle : elle a lieu tous les deux ans. Même lorsqu’elle offre, entre autres choses, la possibilité de suivre les développements de l’art dans différentes parties du monde, une biennale fonctionne aussi comme une pendule – une possibilité de mesurer le temps. La vie moderne aspire à être un genre très particulier d’horloge – qui enregistre et évoque simultanément des fuseaux horaires apparemment incompatibles ou contradictoires. La photographie A&B Time (2013) de Marina Pinsky, qui représente un arrangement de différentes montres et horloges disposées sur un tissu imprimé et richement coloré, lui-même décoré de différentes pièces d’horlogerie et de faucilles, fonctionne un peu comme un emblème de cette idée. Pour réaliser cette image, l’artiste a photographié cette « nature non-morte » en deux temps d’exposition très différents, l’un le jour, et l’autre la nuit. Au lieu de capturer l’«instant» monolithique généralement associé aux photographies, l’image de Marina Pinsky rassemble des représentations du temps qui reflètent des temporalités alternatives. J’espère qu’une fois vues ensemble, les oeuvres de La vie moderne parviendront à suggérer avec la même subtilité les myriades de temporalités historiques qui se dissimulent dans les images homogénéisantes de la culture «contemporaine».

La vie moderne est une exposition qui cherche en quelque sorte à défier les concepts futiles que nous associons au contemporain». On définit trop souvent le contemporain comme un présent perpétuel coupé de toute racine, un présent qui se déploie comme un horizon sans fin. Pourtant, et comme le montre un rapide coup d’oeil sur les événements qui se déroulent tout autour du globe, notre paysage « contemporain » est loin d’être un champ uniforme d’originalité et de nouveauté. Dans de nombreuses régions du monde, des changements économiques et technologiques accélérés vont de pair avec une transition vers des régimes sociaux et culturels d’époques révolus. Il suffit de constater combien l’émergence globale des croisades religieuses, le retour présumé de la guerre froide, ou les disparités économiques de plus en plus aigües entre les plus riches et les plus pauvres, qui atteignent désormais des niveaux que l’on n’avait plus connus depuis le XIXe siècle, sont « contemporains ». La prétendue « fin de l’Histoire » annoncée par le triomphe du capitalisme à la fin du XXe siècle a cédé la place à un programme étrange qui mêle des «avancées» contemporaines à des rediffusions d’histoires qui ressemblent à des zombies.

Cette exposition souhaite proposer à ses visiteurs de réfléchir aux transformations des paysages sociaux et culturels qui caractérisent la vie moderne en France comme ailleurs dans le monde. Certaines oeuvres explorent des questions qui font l’objet de traitements quotidiens dans les médias, qu’il s’agisse des crises générées par les inégalités économiques ou des problèmes liés au post-colonialisme, à l’immigration et aux identités nationales. D’autres se penchent sur des zones moins « balisées » mais tout aussi caractéristiques de notre présent, comme l’évolution de notre sensibilité à la relation entre les images et les objets, le travail et le loisir, le physique et le virtuel.

Cette intention générale de La vie moderne reflète l’hypothèse sous-jacente que l’art est essentiel si l’on veut comprendre le monde qui nous entoure. À cet égard, cette discipline n’a pas moins d’importance que la philosophie ou les sciences. Il ne s’agit évidemment pas de suggérer que l’art peut, tout comme ces disciplines, offrir une analyse équivalente de nos conditions d’existence. L’art ne relève pas davantage du journalisme documentaire ou du reportage visant à nous informer d’une manière prétendument objective. À la différence des scientifiques, des philosophes et des journalistes, les artistes n’ont pas pour mission de fournir des réponses. En s’éloignant des modes classiques de pensée et de représentation, les artistes se saisissent au contraire des contradictions, jonglent avec différents points de vue et ignorent généralement les contraintes de la nécessité. De plus, les artistes remarquent souvent des choses auxquelles nous ne prêtons aucune attention, et dévoilent des associations et des connexions invisibles. En conséquence, leurs œuvres ont la capacité de développer et d’exprimer d’autres perspectives.

Les artistes

Pour les sites La Sucrière et Musée d'art contemporain de Lyon :

Résonance

200 manifestations à Lyon et dans la région, et 15 focus dont:

Ce fabuleux monde moderne au plateau, Hôtel de région, Lyon.
les frasques et les bonheurs à travers des œuvres de 25 artistes de la collection permanente du MAC Lyon.
Artistes:

Marina Abramović et Ulay, Terry Allen, Laurie Anderson, Etienne Bossut, Mathieu Briand, Daniel Firman, Henry Flynt, Jean-Michel Basquiat, Jean-François Gavoty, Roberto Jacoby, William Kentridge, Lucia Koch, Le Gentil Garçon, Marlène Mocquet, Hans Neleman, Nam June Paik, Eduardo Paolozzi, Peter Robinson, Thomas Ruff, Ed Ruscha, Jesús Rafael Soto, Daniel Spoerri.

Anish Kapoor chez Le Corbusier couvent de la Tourette, Eveux

Musée des Confluences : Salle 15 Yuan Goang-Ming, et Salle 11 - 12 L'Art et la Machine
Les machines ont leur esthétique propre et offrent par ailleurs aux artistes des sources d'inspirations non limitées. Plus de 200 œuvres d'artistes variés sont présentées dont: Peter Stämpfli, Jean Tinguely, Marcel Duchamp, Francis Picabia, Bertrand Lavier, Claude Lévêque, Ai Weiwei, Abu Bakarr Mansaray, Chris Burden, Nam June Paik, Titos Mabuta, Alain Bublex, Rigobert Nimi

Veduta

Veduta propose des expositions d'œuvres acquises à l'issue des précédentes biennales, l'école de l'amateur invite les habitants des territoires Veduta à être les co-commissaires, les médiateurs et les ambassadeurs du projet, trois artistes sont accueillis en résidences.

Fondation Bullukian, une douzaine d'attistes dont:

Présentation de Thierry Raspail

J’ai souhaité placer cette 13e édition de la Biennale de Lyon sous le signe de Moderne. C’est avec ce mot que j’ai invité Ralph Rugoff à assurer le commissariat de La vie moderne, qui donne son titre à la Biennale, et qui se tient à la Sucrière, au macLYON et dans la salle 15 du Musée des Confluences. Tout d’abord, il faut dire que pour les historiens d’aujourd’hui, Moderne désigne aussi bien la période néolithique que l’âge du bronze, avant son effondrement soudain il y a un peu plus de trois mille ans. Mais Moderne apparaît clairement en Occident, et en France en particulier, avec la fameuse querelle des Anciens et des Modernes autour de la personnalité de Charles Perrault en 1684. Elle correspond à la découverte simultanée de l’histoire grecque d’une part, et de civilisations prestigieuses jusque-là ignorées par l’Occident d’autre part : la Chine, le Japon, l’Asie du Sud-Est, le sous-continent indien, le Mexique, le Pérou… C’est à cette époque qu’apparaît le mythe du bon sauvage, qui dialogue avec les meilleurs esprits du temps. Et c’est déjà une troisième mondialisation ! Depuis cette époque, nous avons inventé la Nation et l’Universel, c’est-à-dire simultanément la frontière et l’absence de frontière ; puis nous avons créé leurs avatars funestes : le colonialisme et l’orientalisme. Le colonialisme a cherché par tous les moyens à produire du semblable en imposant par la force ses valeurs à l’« Autre », tandis que l’orientalisme a cherché le moyen de produire de la différence irréductible en imposant à un Semblable des valeurs qui le métamorphoseraient en « Autre ». Dans les deux cas, l’« Autre » est un subalterne et l’invention est occidentale. La parabole Moderne a été ensuite revue, corrigée et élargie par de nombreux auteurs, poètes et artistes parmi lesquels Baudelaire, pour qui «il faut être absolument moderne», Walter Benjamin, Charlie Chaplin, Jacques Tati… Dans les arts plastiques, Moderne est radicalement actualisé dans les années 1950/1960 par l’historien et critique d’art Clément Greenberg aux États-Unis. Il en donne une interprétation dictatoriale et formaliste en imposant à l’art de se conformer à son « essence », la planéité pour la peinture, le volume pour la sculpture. Cette quête d’une pureté absolue exclut la plupart des artistes Modernes de l’époque qui contestent cette conception étroite. Le débat se prolonge jusqu’en Europe et dure trente ans.

Puis Moderne disparaît comme par miracle au cours des années 1980 quand survient le postmoderne, avec la fin des Grands Récits et de ce que l’on croit être la fin de l’Histoire. Le Moderne semble s’évaporer précisément au moment même où les biennales, notamment celles des pays dits émergents, se développent à vitesse grand V à l’échelle du globe (on en compte plus de 200 actuellement). Moderne a disparu mais l’époque qui s’annonce n’est pas nommée (c’était d’ailleurs le propos de la Biennale de Lyon 2007, conduite par Hans-Ulrich Obrist et Stéphanie Moisdon1).

On peut l’expliquer simplement par une mondialisation galopante, qui a su nous imposer son univers de flux permanents se propageant dans tous les sens : réseaux numériques, finances, technologies, matériaux, migrations. Ces flux ont créé un nouvel épisode de la success story Moderne. Dans le champ des arts plastiques, cet aller retour a largement contribué à l’éclosion d’artistes de grandes qualités en provenance d’aires culturelles jusque-là complètement sous-estimées par l’Occident : la Chine, l’Inde, l’Asie du Sud-Est, le Moyen-Orient, certains pays d’Afrique… Nous répétions quasiment trois siècles plus tard ce qu’avaient vécu les contemporains de Charles Perrault, à deux exceptions près : notre propre mémoire joue aujourd’hui le rôle interprété par la Grèce antique au XVIIe siècle, et le temps s’est raccourci : la lenteur de la lettre de change a très largement perdu le match qui l’opposait à la simultanéité d’Internet. Mais si le dialogue s’est opéré si facilement, c’est d’abord parce que ces artistes venus d’«ailleurs», et qui auraient pu légitimement contester l’entreprise moderniste menée de longue date par l’Occident colonial et se replier sur leur «identité», ont, au contraire, choisi d’adopter le Moderne pour en modifier les règles et en élargir les couleurs et les contours.

Par conséquent le Moderne d’aujourd’hui est un moderne élargi mais inachevé, qui ne croit plus en ses promesses de bonheur. Nous ne sommes pas seulement Modernes, nous sommes les uns et les autres, tour à tour ou simultanément néomodernes, altermodernes, pro ou antimodernes, folkmodernes ou encore modernes tardifs… Nous avons quitté l’après-moderne (postmoderne) au profit d’un moderne élargi, inédit, un plus-que-Moderne, qui, à la manière des objets connectés, s’enrichit de contours indistincts aux confins vastes et imprécis. Bref, nous sommes Modernes sans l’être, ou plutôt «Modernes élargis», et c’est ce qui caractérise la condition de l’œuvre aujourd’hui. Et si pour certains, le terme Moderne conserve encore un caractère vague et désuet, le récit qui le porte est lui, en revanche, radicalement et délibérément actuel. Or, nous savons que le Récit – petit ou grand – est le nouvel Universel qui régit toutes nos relations sociales et culturelles. Par conséquent, le Moderne est bien la condition du contemporain présent et contingent. Il en est tout à la fois la base, la mémoire et l’ombre portée. Par conséquent, faire le récit du Moderne à l’occasion de cette 13e édition de la Biennale de Lyon, c’est écrire l’histoire du contemporain. C’est ce à quoi nous nous attelons passionnément.

Galerie


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